Comment apprend-on ?

Apprendre ? Pas si simple. Mais qu'on soit jeune ou moins jeune, il existe des règles fondamentales. Les méthodes d'apprentissage efficaces s'appuient sur ces règles.

Les fonctions exécutives qui s’activent dans le cortex préfrontal à l’avant du cerveau nous permettent de réfléchir face à un problème nouveau, d’élaborer des stratégies pour y répondre efficacement, en mobilisant nos connaissances, notre logique, notre créativité. Elles constituent comme une usine à produire de l’intelligence. La mémoire de travail dont il va être question plus loin en est la pièce-clé.

 

Ces fonctions exécutives sont matures très tard, vers l’âge de 25 ans. Elles évoluent non pas en « escalier », de façon linéaire, mais plutôt par vagues, avec des stades de progression, et des stades de stagnation, voire même de régression. Un nouvel apprentissage entraîne souvent une déstabilisation cognitive, une remise en question des acquis précédents.

 

Cette maturation progressive fait partie de ce qu’on appelle la plasticité cérébrale : l’intelligence n’est pas fixe ni innée mais au contraire dynamique avec une progression qui se forge en interaction avec notre environnement, et suit souvent la courbe de notre entraînement et de nos efforts. Plus je fais des efforts, plus je m’entraîne sur un sujet donné, plus je progresse, à condition bien sûr d’utiliser les bonnes méthodes. Cette progression correspond à une modification, une transformation du cerveau, visible à l’imagerie cérébrale. L’apprentissage correspond à un changement, une réorganisation du cerveau. Avant et après un apprentissage, votre cerveau n’est pas le même. Et tandis que vous lisez cet article, il se re-configure, de nouveaux réseaux de neurones s’activent et se greffent à des réseaux pré-existants pour vous permettre de comprendre ce que vous lisez en faisant des liens avec ce que vous savez déjà sur le sujet.

 

On apprend efficacement en combinant deux « stratégies » qui peuvent sembler contradictoires mais qui co-existent dans le cerveau et sont toutes deux nécessaires. 

 

La première consiste à automatiser les connaissances et savoirs fondamentaux. Intégrées à notre système de mémoires on trouve notamment la mémoire de travail et la mémoire à long terme. La mémoire de travail est la mémoire de l’instant présent, c’est avec elle qu’on « pense » et qu’on réfléchit, quand on traite et manipule des données, en temps réel. C’est une mémoire vive qui agit en collaboration avec la mémoire à long terme qui elle stocke nos connaissances organisées en réseaux conceptuels dont les ramifications occupent toutes les zones fonctionnelles des deux hémisphères du cerveau. La mémoire de travail a des capacités limitées, en terme de quantité d’informations qu’elle peut manipuler simultanément, et en terme de rétention de ces informations, ce qui n’est pas le cas de la mémoire à long terme. Les capacités limitées de la mémoire de travail la placent vite en situation de surcharge si les efforts pour aller récupérer les outils dont elle a besoin pour effectuer une tâche donnée sont trop importants. Par exemple, si on vous demande de traduire oralement une phrase en anglais, comme le font les interprètes, votre mémoire de travail doit simultanément retenir la phrase donnée, chercher en mémoire à long terme sa traduction mot à mot, combiner cette traduction pour respecter les règles de grammaire anglaise dont il faut aussi se souvenir etc. Si l’effort pour récupérer toutes ces informations est trop important, vous allez perdre le fil, oublier une partie de la phrase à traduire ou commettre des erreurs. De même, l’enfant qui apprend à lire a du mal à parvenir à la fois à déchiffrer les mots et à comprendre le sens de ce qu’il lit, alors qu’il y parvient sans problème quelques mois ou années plus tard quand il a automatisé le déchiffrage des mots. Dernier exemple : l’élève de 4ème qui a appris sa leçon sur Pythagore mais rate le contrôle associé n’a peut-être pas automatisé ce qu’était un nombre au carré, ou une racine carrée ! 

 

Comment fait-on pour automatiser des savoirs ? On les répète, on les applique, on les réactive, on s’entraîne régulièrement et souvent à les récupérer en mémoire à long terme jusqu’à ce qu’ils deviennent des implicites à disposition de notre mémoire de travail sans qu’elle ait d’effort conscient à faire. Quand ce travail d’automatisation a été fait, le sentier d’informations qui relie mémoire de travail et mémoire à long terme devient une autoroute où ces informations circulent vite et facilement, sans risque de télescopage ou d’embouteillage. Sans automatisation, gare au goulot d’étranglement. Les élèves qui disent avoir du mal à structurer une dissertation en philo, SES, histoire, etc. ont souvent, en réalité, du mal à… réfléchir, et ce… parce qu’ils n’ont pas assez bien appris leur cours. Bien apprendre un cours, c’est être capable de récupérer en mémoire, donc sans ses notes sous les yeux, les notions importantes qu’il comporte, et ce facilement, sans effort. Pour cela il faut s’être entraîné et testé à plusieurs reprises, en réapprenant ce qu’on a oublié d’une séance sur l’autre. Il faut avoir « pratiqué » et mis en pratique ce cours autant de fois que nécessaire pour pouvoir ensuite être capable de traiter des enjeux d’une problématique transversale sur les sujets qu’il mobilise. 

 

En résumé : on ne peut pas conduire et discuter philosophie quand on est un tout jeune conducteur alors que ça ne pose plus de problème quand on a suffisamment de kilomètres au compteur ! Et pour le dire clairement : il n’y a pas d’intelligence sans travail, sans entraînement, sans pratique. 

 

La deuxième consiste à savoir… résister à nos automatismes. Ils sont pratiques la plupart du temps… mais pas toujours. L’enfant qui sait compter jusqu’à 7 mais qui prétend qu’il y a plus de jetons sur une ligne où ils sont serrés les uns contre les autres que sur une deuxième ligne où ils sont plus espacés, alors que dans les 2 cas il y a toujours 7 jetons, ne parvient pas à bloquer l’automatisme heuristique longueur = nombre. Le jeune adolescent qui affirme qu’1/4 c’est plus qu’1/3 n’arrive pas à bloquer l’automatisme 4 est plus grand que 3. Cet automatisme, juste avec les nombres réels, ne l’est plus avec les comparaisons de fractions. L’adulte qui se trompe dans une tâche de logique où on lui demande de contredire une règle, et qui contredit l’antécédent (si il n’y a pas….) en le transformant (pour en faire une affirmation : s’il y a) au lieu de contredire le conséquent (alors il y a….) se laisse abuser par la négation et ne « bloque » pas sa réponse spontanée. Et ceux, enfants ou adultes qui font des fautes de grammaire du type « je les manges » ou « l’enfant des voisins jouent avec mon vélo » les font par « inattention », en se laissant piéger par les automatismes d’accords avec des mots au pluriel. 

 

Beaucoup de « vérités » sont contre-intuitives ou contredisent ce qu’on avait compris et automatisé ultérieurement, dans des cas plus fréquents, et plus simples. 

 

Comment résiste-t-on à un automatisme ? En travaillant la métacognition, qui est le discours interne que l’apprenant se tient pour guider sa pratique. Ici, en se disant : « attention, est-ce qu’il n’y aurait pas un piège ? ». En prenant le temps de réfléchir avant d’agir. En se montrant capable de suspendre une réponse, pour mieux l’assurer, un peu comme aux jeux « Jacques à dit » ou « Ni oui ni non ». En contrôlant et ré-ajustant chaque étape de son raisonnement. L’inhibition, puisque c’est ainsi qu’en science cognitive on appelle cette capacité à résister aux automatismes, s’enseigne et s’apprend. Là encore, c’est une question d’effort, d’entraînement, de répétitions. 

La récompense ? Une meilleure capacité à réfléchir, à créer, inventer ; une plus grande flexibilité intellectuelle. 

 

Quand un apprenant s’aperçoit qu’il a commis une erreur et qu’il réfléchit, change de stratégie pour produire la bonne réponse, son cerveau se transforme en temps réel. Le cortex pré-frontal s’active, se réveille, s’anime. Le tout étant (parfois) l’occasion d’un bon shoot de dopamine !

 

Pour en savoir plus, voici un lien vers un bon article synthétique sur le sujet :

http://dailyscience.be/29/08/2018/bien-apprendre-cest-aussi-bien-controler-ses-automatismes/

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